«Il faut reporter les Jeux olympiques de Paris 2024»

Par Pierre Carrey — 3 mai 2020 à 09:50

Président du groupe PCF au Conseil de Paris et connaisseur pointu des questions de sport, Nicolas Bonnet-Oulaldj appelle à un plan d’urgence pour doubler les crédits des clubs et fédérations sportives durement touchés par la crise du Covid-19.

  • «Il faut reporter les Jeux olympiques de Paris 2024»

Nicolas Bonnet-Oulaldj, chef de file du groupe PCF-Front de gauche au Conseil de Paris, est l’un des rares élus qui travaille sur les questions de sport. Formé au cabinet de la ministre Marie-George Buffet puis chargé des sports à Noisy-le-Sec, Bagneux et à la région Ile-de-France, il a suivi de près la candidature de Paris pour les JO 2024 en tant que membre du Groupement d’intérêt public, et reste proche de ces dossiers.

Surcoût énorme et risque que la pandémie ne soit toujours pas maîtrisée : les Jeux olympiques de Tokyo pourraient ne pas être reportés à 2021, mais purement annulés. Dans ce contexte, faut-il maintenir les Jeux de Paris 2024 ?

Oui, mais pas à n’importe quel prix. La candidature de Paris s’est engagée pour des Jeux d’un nouveau type, respectueux des normes sociales et environnementales, en rupture avec Sotchi (2014) ou Rio (2016). A cause de la pandémie de coronavirus, certains chantiers parisiens ont pris du retard, comme celui de la piscine ou du village olympique. Il n’est pas question de mettre la pression sur les salariés pour rattraper le temps perdu. Ça, c’est la ligne rouge. Nous devons organiser ces Jeux lorsque nous serons prêts. Je propose de les reporter d’un an. Tous les grands événements 2020, à l’image de l’Euro de foot ou des championnats d’Europe d’athlétisme (qui devaient se dérouler en France) ont été repoussés. Désormais, il vaut mieux parler des Jeux olympiques de Paris 2025.

Pourquoi ne pas annuler ?

Ce serait une défaite politique face aux défis qui nous sont posés. Au terme des compétitions sportives, les Jeux doivent laisser un «héritage». Par exemple la création d’emplois pérennes en Seine-Saint-Denis ou la construction de gymnases et piscines qui profiteront à toute la population. Sans parler des infrastructures de transports en commun. La Seine-Saint-Denis et la ville de Paris sont meurtries par la pandémie. Ces Jeux peuvent les aider à se relancer.

L’ancien ministre des Sports Guy Drut (1995-1997) estime que «le logiciel» des Jeux de Paris est «obsolète, dépassé, déconnecté de la réalité». Partagez-vous ce diagnostic ?

C’est étonnant… En tant que député puis ministre, Guy Drut a cautionné des politiques qui ont favorisé le sport marchand et démantelé le service public du sport en France. Comme membre du CIO depuis 1996, il est associé à une conception des Jeux olympiques qu’il fait mine de combattre aujourd’hui. Pourtant, les JO de Paris constituent un progrès par rapport à tout ce qui a eu lieu jusqu’ici !

Peut-on envisager certaines économies ? On apprend cette semaine que le coût du centre aquatique devrait grimper à 147 millions, au lieu des 86,8 millions d’euros prévus…

Nous devons nous montrer vigilants. Anne Hidalgo, soutenue par le groupe communiste, s’est engagée pour la «sobriété» des Jeux. Faire des économies ? D’accord si nécessaire. Mais, dans ce cas, ce devra être sur le sport spectacle, jamais sur le sport pour tous.

Dans quel état se trouve le «sport pour tous» en période de coronavirus ?

Bouleversé et très inquiet. Après le 11 mai, les sports collectifs seront encore à l’arrêt (basket, foot, rugby, hand), ainsi que les sports de combat. Ce qui concerne la très grande majorité des 18 millions de licenciés en France. Seuls le cyclisme et l’athlétisme, parmi les «grosses» disciplines, vont pouvoir reprendre l’entraînement (mais pas la compétition). Les clubs sont en train de perdre leurs recettes liées à la billetterie, ainsi que des sponsors. Et le plus dur reste à venir : il leur faudra conserver leurs éventuels emplois d’éducateurs ainsi que leurs licenciés à la rentrée. Dans une famille touchée par le chômage, le sport des gamins coûte cher. C’est pour cela qu’il faut remettre en place les coupons-sport qui permettent de subventionner tout ou partie d’une licence, sur la base des critères sociaux.

Mais la fragilité du sport amateur n’est pas nouvelle ?

La crise aggrave la situation. Déjà, sous Nicolas Sarkozy, les Creps [centres de ressources, d’expertise et de performance sportives] ont été saccagés, avec 7 des 24 centres de formation sportive fermés. Pendant ce temps, le sport marchand était plébiscité : Eric Besson, sur la base d’une commission présidée en 2008 par Philippe Seguin, a lancé «une nouvelle politique nationale des stades», passant par un développement des loges VIP. Mais ne remontons pas aussi loin. Il y a un an, les cadres techniques protestaient contre la réforme qui consiste à les rattacher non plus à l’Etat mais aux fédérations ou aux collectivités. Ces cadres forment les éducateurs bénévoles des clubs aussi bien que les athlètes de haut niveau. Comment maintenir leurs emplois si l’Etat se désengage ? En augmentant le coût des licences ou en développant le sport marchand via les fédérations. Ce ne sont pas des options acceptables.

L’Etat doit-il aider le sport comme d’autres secteurs d’activité ?

Le sport est l’un des grands oubliés de la crise. Je plaide pour un plan d’urgence pour la vie sportive associative voté par le Parlement. L’Etat doit doubler les crédits alloués aux clubs et fédérations. Le budget de l’Agence nationale du sport, destiné au développement des pratiques, est de 194,3 millions d’euros. Nous pourrions donc passer à 400 millions d’euros.

On peut vous objecter que ce n’est peut-être pas une priorité…

En effet, il y a énormément de secteurs à aider. Mais, pour mettre les choses en perspective, le budget du PSG est à lui seul de 637 millions d’euros. Sans parler d’un autre domaine, la défense, qui culmine à 37 milliards. Ne disons pas que nous n’avons pas l’argent. Le Parti communiste propose une grande réforme fiscale. Dans l’immédiat, cela passe par le rétablissement de l’ISF et l’interdiction du versement des dividendes pour l’année 2020 – la France était championne d’Europe des dividendes l’an passé.

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L’Etat doit-il aussi soutenir les structures privées, tels les grands clubs de foot qui s’inquiètent pour leurs finances ?

Ce serait très malvenu. Au sortir de cette crise où l’on applaudit chaque soir des infirmiers et infirmières payés 1 500 à 2 000 euros, les revenus mirobolants des footballeurs ne pourront que choquer. Le foot professionnel doit revoir son modèle économique. Du reste, le sport pro doit augmenter sa contribution au sport amateur. Nous devons, par exemple, relever le montant de la taxe Buffet [qui oblige les diffuseurs télé des compétitions internationales à reverser 5% des droits télévisuels à l’Agence nationale du sport, ndlr].

Pourquoi concentrer les subventions sur les associations ?

Le club sportif est la pierre angulaire du sport. Il apporte du lien social, du brassage social, une expérience de démocratie. Le club tire les licenciés vers le haut, leur permet de progresser et d’éviter des erreurs. Ce ne sera pas inutile à l’approche du déconfinement : les entraîneurs alertent sur les risques aigus de blessure avec la reprise trop brutale de l’activité physique…

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Vingt-et-un députés LREM ont proposé de suivre le modèle allemand : école le matin, activités sportives l’après-midi. Un plan censé désengorger les salles de cours. Qu’en pensez-vous ?

On ne peut pas utiliser les associations sportives comme des pansements sur une école saignée à blanc. C’est à l’Education nationale, et à elle seule, de prendre en charge l’activité sportive des jeunes sur le temps scolaire. La proposition des députés LREM vise manifestement à faire des économies sur le dos des profs de sport, ce qui est inacceptable. Par ailleurs, elle fait reposer la charge sur les collectivités locales, principales sources de financement des associations sportives. Cela ne garantirait plus l’égalité entre les élèves. Sans l’Education nationale, un lycéen ne bénéficierait pas de la même qualité d’encadrement sportif selon qu’il habite à Lille, Châteauroux ou dans un village de montagne.

Estimez-vous que la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, défend l’accès du sport à tous ?

Je l’ai connue à la région Ile-de-France quand elle était élue à gauche [de 2010 à 2015]. Elle a voté avec nous l’ensemble des projets et des budgets. Aujourd’hui, elle semble poursuivre certains combats mais elle s’exprime dans un cadre impossible : le gouvernement auquel elle appartient réduit son projet par des politiques d’austérité.

Jean Castex, président de l’Agence nationale du sport, est devenu le «Monsieur déconfinement» du gouvernement. Enfin un connaisseur du sport promu à des responsabilités ?

Il y a plutôt de quoi être inquiet. Sous son mandat, l’ANS a davantage concentré les crédits de l’Etat sur les Jeux olympiques et les grands événements que sur les clubs et fédérations sportives. Au contraire, nous aurions préféré que pour un euro d’argent public investi dans les JO, il y ait un euro versé au sport amateur. Bénéfice pour la population : 3 milliards d’euros !